Les troubadours, ce sont une centaine de poètes chanteurs qui enchantèrent les cours seigneuriales du Midi de la France au XIIe et XIIIe siècle, insufflant une lyrique inédite et de nouvelles valeurs amoureuses et morales.
Poètes, musiciens, chanteurs, jongleurs, aventuriers, journalistes, parfois espions, ils « trouvaient » au fond de leur cœur les mots et les images qui séduiraient la Dame élue. Le trobar allait affecter l’Europe entière.
Ces poètes sévirent en Occitanie (schématiquement Aquitaine, Languedoc, Provence, Catalogne) mais débordèrent jusqu’en Italie et en Espagne.
Ils ont laissé un corpus de textes dont on peut trouver quelques extraits sur le Net.
Caractéristiques
Avant les troubadours, la lyrique existait, certes, mais elle était exclusivement latine… et d’autre part ne s’intéressait que peu à la femme (presque tous les genres que la poésie provençale a développés au XIIe et XIIIe se trouvent ébauchés de façon rudimentaire dans les chants érotiques, satiriques, bachiques, funèbres composés en latin dès le Xe siècle par les goliards, écoliers itinérants).
Le mouvement troubadour, né de la confluence de diverses inspirations (chants grégoriens, lyriques andalouses et arabes, humanisme antique) va au contraire mettre la femme au cœur de ses préoccupations, définissant une nouvelle façon d’envisager les relations amoureuses : la fin’amor.
Proche de l’amour courtois dans lequel la dame soumet son amant à des épreuves avant de se donner, mais cependant différente – car le fait (le passage à l’acte) n’est pas une fin en soi – la fin’amor repose sur plusieurs valeurs: égalité des amants qui ont le même paratge (noblesse de sang puis d’amour), discrétion nécessaire et voulue des échanges (il est très souvent question d’adultère) afin d’échapper aux lauzengriers (médisants), amour fougueux et passionné de la jeunesse (joven), insouciant et généreux (largueza) mais contenu par la mesure (mezura) des actes (les bonnes manières).
Un mouvement littéraire et de mœurs
Au niveau de la forme, les troubadours inventèrent et développèrent différents genres de poésie: canso, sirventes, plahn et mirent l’accent parfois sur les images parfois sur le mot lui-même.
Les thèmes abordés sont ceux des saisons qui passent (printemps fleuri et positif, hiver désolé et négatif), de la guerre présente au quotidien entre des Seigneurs qui auto-justifient leur rôle et bien sûr de tous les états émotionnels que l’amour cause. A noter que la fin’amor sublime l’amour puisque le simple fait d’aimer bien devient le but de la relation, procurant la joi presque mystique d’aimer pour le plaisir (comme quoi Herbert Léonard…).
A ces thèmes, on peut rajouter ceux de l’errance. Les troubadours se déplaçaient de cour en cour, parfois accompagnés de leur jongleur, suivant leurs seigneurs ou leur inspiration… ou allant chercher gîte et couvert pour une saison. La dame est non seulement l’objet du désir, elle est aussi la protectrice, celle qui accorde au troubadour de faire partie de son cercle proche (ce qui facilite bien les choses aussi !). Et on a beau être noble et posséder la terre, la ville devient de plus en prépondérante… ainsi que l’argent !
Enfin, le sentiment religieux n’est que peu abordé dans le trobar, si ce n’est dans l’exaltation mystique de l’Amour. Parfois anticléricaux, les troubadours aborderont même dans leurs textes la puissance néfaste de l’Eglise Catholique Romaine, notamment après la croisade contre les Albigeois (1202-1244).
Au total, les troubadours font preuve de prouesse littéraire (pros) et divertissent tels des jongleurs les cours méridionales, tout en se conformant à une image idéale du chevalier.
Historique
Le premier des troubadours de langue d’oc était Guillaume IX, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers (1071-1127). Sa Vida dit de lui qu’il était: « … un des plus galants hommes du monde et l’un des plus grands trompeurs de femmes (trichadors de dompa). Il fut un bon chevalier d’arme et large en amour ». … et excommunié deux fois. Surtout, il instaure une rupture littéraire, le texte passant dans la sphère laïque et non plus exclusivement détenu par l’Eglise.
A sa suite donc, quelques centaines de troubadours et trobairitz s’illustreront, dont on retiendra les noms par ordre chronologique de Jaufré Rudel, Marcabru, Bernart de Ventadour, Bertran de Born, Richard Cœur de Lion, Gaucelm Faidit, Comtesse de Die, Peire Vidal, Raimon de Miraval, Gui d’Ussel, Sordel, Peire Cardenal et Guiraut Riguier (1230-1295), le dernier troubadour.
La liberté spirituelle des troubadours ne pouvait que renforcer la méfiance du pouvoir politique et religieux de la France du Nord. Croisade contre les Albigeois (1209-1229), perte des valeurs (finalement l’amour spirituel, la prouesse et les vertus oui d’accord, mais bon, le pouvoir, la bonne chaire, la liberté de l’amoralité), modifications sociales (prépondérance de la ville sur la campagne, c’est-à-dire de la bourgeoisie sur la noblesse)… conduisirent au déclin du trobar.
Leur influence sera néanmoins importante, touchant d’abord la France du Nord. Chrétien de Troyes (1135 env.-1183 env.), qui compose à la cour de Marie de Champagne vers 1170, est forcément influencé par le mouvement du Sud, tout en substituant des thématiques différentes (l’amour courtois).
Plus que la cour, c’est la ville qui favorise l’essor d’une poésie distincte de la tradition courtoise. Rutebeuf (mort en 1285), Parisien, jouait dans ses poèmes un personnage non conformiste, parlant avec entrain de son mariage, de sa pauvreté, de ses amitiés et surtout de ses rancœurs.
Point de vue sociologique
L’érotique troubadour sublime l’amour au point d’en faire l’amour de l’amour. Bel accomplissement spirituel. Qui colle merveilleusement aux problématiques de l’époque. Car en ces temps féodaux, la chose la plus importante pour la noblesse, c’est le lignage. Principale préoccupation : être certain que la Terre sera transmise à la descendance. Or en ces temps de croisades, on n’était sûr de rien…
D’autre part, les chevaliers étaient de jeunes hommes bouillants, vivants dans une époque violente, où on se filait allègrement des coups d’épée pour régler les problèmes. Dans ses conditions, la fin’amor va canaliser cette belle énergie dangereuse tant pour la lignée que pour la paix sociale, et la détourner vers des buts plus spirituels.
Il ne faut pas se leurrer : si la Femme est au centre des préoccupations, s’il y a des trobairitz, le rôle de la femme est quand même peanuts ! Elle ne décide de rien si ce n’est de ses amants, n’a de valeur que mariée et enfantant.
Et si dans l’absolu, l’épreuve de l’essai (asag) lors de laquelle les amants se contemplaient nus sans se toucher ne se terminait pas par le fait, Elias d’Ussel chante néanmoins :
Si je suis au lit avec celle que j’aime plus que moi-même
Bien sur je ne lui demanderai rien
Mais tout doucement en riant et en jouant
Je le lui ferai. et puis je me mettrais à verser des larmes
Jusqu’à ce qu’elle me pardonne mon manque de parole ;
Puis j’irai en pélerinage jusqu’à Tyr et au-delà
Demander pardon à Dieu de mon parjure.
Références offline:
Au temps des troubadours, G. Brunel-Lobrichon & C. Duhamel-Amado, La Vie Quotidienne Hachette, ISBN: 2.01.016423.7
L’Erotique Troubadour – R. Nelly – Privat – ISBN: 2.7089.9607.4
Références online:
Les femmes-troubadours, de L’homme Littéraire
Merci, des lignes avant-Dantes… une Dame voilé