De 1994 à 1997, j’ai beaucoup écrits de sonnets. Ci-dessous, une sélection de ceux que je trouve encore lisibles (après quelques retouches).
JE T’AIME
La rage, la haine deux algues phosphorées,
Car tu n’es mienne sous aucune hiérarchie,
Polissent leurs pieux de cruelle ataraxie
Fouillant sans pitié mes viscères étalés
Que je te m’abhorre, honte sur ma furie.
Je t’offre tout : ma mort, ma mie affabulée
Les douces folies de mon âme déjantée
Pour que je puisse, oui, de mes mains ahuries
T’annihiler, ma fleur, oublier mon poison
Dont je gargarise les parois du tréfonds
Qui me sert d’intérieur. Coule mon bain de lait
Et prépare la mise, aujourd’hui je me pends
Dix contre un je gagne ; un contre un j’ai coulé
Pays de cocagne, ce soir j’irai au vent.
UN FAUNE
La tête sur une vasque un faune pleurait
Captant la lumière de sa tête cornue,
Il pleurait. Un rien harassé, un peu fourbu,
Il volait la vue de nymphettes éthérées.
Elles se lavaient, en leur asile clandestin
Elles riaient, gourgandines, il matait, repu,
La splendeur écarlate de ces jeunes culs
Qui le maintenaient dans l’antre de son destin.
Le soleil se couchait mollement, l’air fumait.
Il se promit qu’il vivrait jusques au matin,
Car il savourait la vie, les filles fardées,
L’ivresse nue, la poésie et les catins.
La voie melliflue à l’orée de l’inconnu
Il riait de Bacchus avant que d’avoir bu.
DIMANCHE MATIN
J’ai ouvert les yeux et ne veux plus dormir.
Errer sans but et sans reproche, quel programme
Pour une fatalité qui va devenir.
Ce matin se meurt consumée, matée, Madame.
Silencieuse dans les draps froissés, elle soupire
Quelque jargon sorti de son haleine acide.
J’écoute touché la courbe de ses sabirs
Et pense qu’elle m’a toujours plu, nue et placide.
La vague s’est tue, éteinte. Elle se pâme.
Ascenseur conique, je file vers les cieux,
Et m’écrase en plein vol sur le dur arbre à came.
Vol, forfaiture, mais où sont passés ses yeux ?
Elle est partie laissant sur mon corps un message:
Rendez-vous sur Mars dans quatre jours à la plage.
HOLA
Il fut champignon puis il devint papillon
L’insecte parvint au coin gauche du plafond
Et courba ses antennes segmentées vers moi
Qui, souriant, n’imaginait aucun effroi.
Lorsque l’une d’elle se déploya muette
Et stria la hauteur d’un bout de bois vivant
Qui près de mon œil en scalpel se mua net.
La lame fila, buta sur un os saillant.
Ainsi ancré, la bête m’attira à elle.
Un rostre hideux et velu perça une oreille.
Paralysé, je la voyais sucer ma moelle
Et siroter mon sang à même la bouteille.
Je hurlais jusqu’à ce que la scène s’efface…
Aujourd’hui j’ai tué ma millième bestiasse.
AMIS AMOR
Un ver s’agite sur la table vermoulue,
Caressé par la vague solaire, il observe
Les convives égayés conter leur vie nue.
Ils sont beaux et heureux, leur rire est plein de verve.
Caché sous une chaise de paille un lézard
Rêve qu’il est un dragon et qu’il chante en ut
Le tendre contrepoint du chœur des vieux anars
Fols qui s’abreuvent de leurs souvenirs abrupts.
Le jour mort, Cigale voulait se reposer
Sur la pierre chaude du mas elle écoutait
Les amis de toujours retrouver la nature,
Leurs corps dans une extravagante farandole.
Ils se réincarneront après la biture,
Vomiront à jamais les existences molles.
MORALE DE PUISSANCE
Je sens mon corps qui vit, et suinter mes axones
D’une sève vive qui irradie mon cœur.
Le soleil irise la route monotone.
Je suis la lumière. J’existe hors la douleur.
Tout à coup, j’aperçois une pauvre verrue
Qui vient assombrir mon chemin, pleine d’aigreur.
Elle se plaint, supplie, gémit, lape mon pied nu.
Je lui crache: « Qu’as-tu vécu pour tant de pleurs ? »
« Ô maître emmène-moi, souffle-t-elle lascive,
Je suis si affaiblie par les pics de la vie.
Je t’aimerai et tu me guideras. Prends-moi. »
J’abats mon poing sur la masse informe, rageur,
Retourne le corps roué et crie au voleur,
Car c’est mon âme que je vois avec effroi.
Sous les ronces du chemin, torchis déchiré,
Sur l’horizon que je pointe soudain murmure
Dans le nuage qui me sourit fiel sulfure
Derrière le soleil qui me brûle à lier,
J’ai trouvé un drôle de sourire sans toit
Qui t’appartient je crois, à moins de me pincer.
Comme il était seul et déconfiture, là
Je l’ai pris dans le creux de mes mains abîmées,
Ce qui a causé un cataclysme chanté,
Une perturbation, bref un dérèglement
Qui fait qu’aujourd’hui je n’ai plus, loué soigné,
Toute ma tête à moi. Tout ça est consternant.
La vindicte exigeait mon amour en blasphème
Alors je me perds bien plus loin, limpide lemme.
AURORE
Un, deux, trois cent mulots pointèrent le museau
Hors des terriers séchés de leur mauvais terreau.
Des cycles avaient tourné sans que la pluie vienne
Mais ce soir avait le goût d’une joie ancienne.
Le crépuscule s’imbibait, l’air s’emplissait,
Les nimbus cumulaient, ourdissant un complot
Si sombre qu’il fallait d’une cape grisée
Se draper. Des tam-tams jouaient dans un sanglot.
Certains rongeurs commencèrent à se tortiller
D’autres plus vrais s’agacèrent les génitaux
Et lorsque les premières gouttes s’écrasèrent
Un sabbat sans nom vaporisait toute l’eau…
Quand le soleil s’extraya de sa césarienne,
Une fleur était née, plus forte que les hyènes.
Assis là, détendu, j’attends, j’attends la pluie
Qui vient. Qui ne vient plus. Qui me fuit elle aussi.
J’attends dans le désert, pierre de l’erg, rouillée
Flétrie. Je ne me suis jamais autant fait chier.
Des fantômes débiles me lèchent les pieds,
Les mains, les mollets, et que sais-je encore, ah oui !
Je lève rageusement une fière épée
Vainement la plante dans le dos d’un esprit.
Qui se retourne, interloqué, et me sourit.
« Tant d’ardeur pour si peu de foi, tu es bien laid.
Tu ne connais donc pas le repos, viens ici. »
De lui, je me suis alors approché, l’épée
Toujours fichée. Il cachait d’une main sa plaie
D’iquelle une rivière de serpents suintait.
RÉDACTION
Composition libre : le héros de vos rêves.
Manu pointe la plume sur la vierge feuille
Et méticuleusement déchaîne sa verve.
Il s’agit d’un mâle chevalier à trois nœils,
Un pour voir, l’autre pour mater et le troisième
Pour rire. Cette Chimère possède aussi
Trois bras et trois jambes. Le bras additif t’aime
Et te tue. Le dernier membre est un gros zizi.
Enfin, sans âge mais pas vieux, l’archétypal
Monstre passe les jours à ronfler sans pareil.
De retour le soir au doux foyer familial,
Il dit aux parents: « Ça a marché à merveille ! »
Maman émue, le prend dans ses bras et l’étrangle.
Dorénavant, il manque un sommet au triangle.
PENSÉE HUMIDE
Souffrez dame qu’à votre beauté je m’incline
Qu’à votre pensée émue se tende ma pine.
Alors pressé m’agite un souvenir ténu
Celui de ma langue agile dans votre cul.
Des senteurs musquées dansent dans mes souvenirs
Pendant que ma main ignore que mon cœur bat.
J’exhale un soupir apaisé comme un zéphyr
Tandis que mon corps s’échappe de mon méat.
Déjà ? Vous n’apparûtes que pour mon émoi,
Et disparaissez sans bruit au son de ma flûte.
Votre fantôme meurt dans un ultime éclat,
Tandis que je m’endors fatigué et repu
Du miel plein les doigts. Las, l’illusion fut câline
Et n’apaise pas mon avidité coquine.
Quand la nuit se pare des atours les plus noirs
Que ta silhouette n’est plus qu’un spectre vert
Je tremble comme un tournesol au bord du soir,
Prie je ne sais quel dieu salvateur et austère.
Soudain, ta main. Ta main qui seule voit le jour
S’extrait du néant pour me guider sans détour,
Me caresse. M’enveloppe. Chasse l’hiver.
En un instant, je perds mes airs de cimetière.
Blessé par ton absence, je n’étais qu’un loir.
Mais tu es là, et je grandis dans ton amour
Émerveillé par tes lumières et ton histoire.
Mes lèvres fendent l’éther comme un troubadour
Jusqu’à s’aboucher irréellement aux tiennes,
Enfin. Tes baisers sont de mon bonheur l’antienne.
LES MARIONNETTISTES
Bien des chimères avaient séduit l’humanité :
Hiérarchie, propreté, sordide appel du gain,
Pauvres libertins, respect pour le vieux cheftain,
Rêves plaqués sur des décors préfabriqués.
Les marionnettistes modèlent des pantins
Nous sommes les tristes reflets de nos espoirs,
Excepté un miroir ils n’ont besoin de rien,
Et nous de croire comme des fous à la foire.
Parfois le fil est coupé et la poupée voit
Ce manque de respect, crachat sur la beauté.
Transie elle prie,quoi ? Rien ne peut la sauver.
Ni son moi, ni sa foi, pauvre chatte aux abois
Acculée il ne reste plus qu’à se soumettre
À moins qu’un frère caché n’ouvre la fenêtre.
Le temps s’avance lentement en maugréant
(« Crie ! », hurlai-je tout en me vidant dans tes reins)
Vieillard sénile, il pose ses pas prudemment
(Et je tombai asphyxié mais bientôt serein).
C’était loin, c’était demain, c’était le présent.
Un temps suspendit son vol l’antique géant,
Goûtant à demi-mot le plaisir de tes seins.
De son effort, je le remerciais de mes mains.
Car si tout est éternel recommencement
(Mon amour, j’ai encore joui bêtement)
Alors il faut adorer les nouveaux desseins,
Qui n’en sont pas, plus, qui avec nous n’en font qu’un
Et apprécier l’instant sous un soleil bidon.
L’amour chronique dégage un goût de fusion.
RENCONTRE
L’homme-oiseau survolait l’étendue intriguée
Du dédale de sa vie. Il planait, riait,
Lorsque son œil attrapa un éclat de voix.
Il se rapprocha du sol, vit un hors-la-loi.
« Qui es-tu pour marcher ainsi sur mes tapis ? »
Tonna-t-il, faussement furieux, déjà ravi.
« Je suis encore ce que tu ne connais pas,
Un peu d’aventure qui naît par ci, par là. »
Répondit en souriant l’attracteur étrange.
« Je suis l’enjeu et l’épreuve de notre échange. »
« Changer? Bah, pourquoi pas, tant que je reste moi ? »
Pensa l’aigle à part, seul entre lui et sa foi.
Il dit: « Je sais qui tu es, mais te méconnais.
Te parler de moi ? Veux-tu apprendre à voler ? »
À JAMAIS
J’ai dormi cette nuit avec un souvenir.
Une odeur oubliée qui berçait mes délires.
Ce n’est pas aujourd’hui, pourtant cela sent hier,
Lorsque je t’embrassais, heureux, excité, fier.
Après avoir nagé sur sept mers et en rêve,
Je suis saisi, ravi. Jadis, l’eau me semblait
Toute aussi déchaînée quand tu me regardais,
Quand je souris aussi, pour l’instant et sans trêve.
Voilà, je me tiens au bord d’un gouffre poreux
J’inspire une chaleur née de et dans ton corps
Je pense à tes seins, à tes yeux, je suis heureux.
Je vis, tu ris, je meurs (ce n’est pas vrai), je dors.
De t’avoir rencontrée, c’est déjà accepter
De t’aimer, oui, t’aimer comme toujours, jamais.
LES VERS
Ainsi donc le ver de terre devrait se taire,
Rester ce que la naissance lui a dicté:
Pauvre et humble dans la fortune ou la misère,
Rouage misérable qu’on ne peut aimer.
Telle l’affirme la loi, le lit-on parfois.
Nul ne l’est ignorant. Il faut subir gaiement
Barreaux de la foi et cage des autres mois
Sans desserrer les dents. Souffler de temps en temps.
L’unique promesse de ne pas avoir été
Pour rien, pour juste terminer sous une pierre,
Est celle qu’on peut trouver un double à aimer.
Refuser la règle et devenir solitaire
Est le seul choix qui reste à celui qui prétend
À la liberté dans son absolu dément.
Comme on aime toujours les lire,
Tes sonnets nous donne que du plaisir !
Bravo frérot,
Pour tes beaux mots !
Amitiés,
Stéphane
Beaucoup de très belle chose dans ces sonnets. Aurore, marionnettiste, rencontre, assis là detendu j’attends(mon préféré ). D’autres m’ont moins touché (pensées humides)
Plaisir à lire . Aussi deux ou trois mots de vocabulaire dans la.besace! Merci.
Marc, salut á Vous – j’ai beaucoup de respect pour sonnet :-rouage misérable- me plaít
Merci pour l’avis, Pavel.